Prévention des risques : une pluralité de pratiques et de motivations
Une étude du Centre d’études de l’emploi éclaire
les comportements des entreprises en matière de prévention des risques
professionnels. Leurs pratiques ont été croisées avec différents
facteurs socio-économiques afin d’identifier des leviers possibles de
l’action publique.
Quels sont les déterminants qui poussent les entreprises à
s’engager ou non dans une politique active de prévention des risques
professionnels ? Les auteurs d’une étude du Centre d’études de l’emploi
(CEE) publiée au mois de janvier, ont traité cette problématique en
s’appuyant, notamment, sur les résultats de l’enquête « Reponse »
(Relations professionnelles et négociations d’entreprise) de 2004- 2005.
Cette vaste enquête nationale de la DARES a été réalisée auprès des
repré - sentants de la direction, des représentants du personnel et des
salariés issus de 3000 établissements de vingt salariés ou plus dans le
secteur marchand non agricole. Elle comportait des questions relevant
spécifiquement de la prévention des risques professionnels : dispositifs
mis en place, objectifs suivis et négociations tenues en matière de
prévention, sécurité et conditions de travail.
Cinq types de comportements identifiés
Premier constat global de l’étude du CEE : plus de 80% des
entreprises de vingt salariés et plus agissent pour améliorer la
sécurité au travail même si le respect de la législation est pour
certaines aléatoire. « Les mauvais résultats des risques professionnels
français ne peuvent plus être compris comme l’effet d’une carence
absolue de la part des entreprises », expliquent ainsi les auteurs qui
distinguent cinq types de comportements. Un groupe intermédiaire
d’entreprises (45,1% des 3000 entreprises) correspond à la norme avec la
présence de dispositifs de prévention (aménagement des postes de
travail, équipements de protection individuelle, prévention du risque
routier, etc.), une évaluation diffusée aux salariés ou à leurs
représentants, des négociations sur les conditions de travail.
Par rapport à cette norme, l’étude pointe un groupe de mauvais
élèves. Pour 16,7% des entreprises, la question de la prévention ne se
pose pas ou, du moins, n’est pratiquement pas posée. Dans 12,6 % des
cas, elle est posée de façon unilatérale : ces entreprises ont
généralement rédigé un document d’évaluation des risques surtout par
souci de remplir une obligation légale, mais elles ne l’ont pas diffusé
auprès du personnel et la discussion collective est absente. À l’opposé,
les entreprises les plus actives sont celles pour qui la prévention est
un impératif partagé à la fois par les dirigeants et les salariés (12,7
%). Les sala riés sont non seulement informés, mais les conditions de
travail font l’objet de négociations débouchant souvent sur un accord.
Le dernier groupe rassemble les entreprises pour qui l’objectif sécurité
n’est pas prioritaire mais qui ont des pratiques de prévention très
formalisées (12,8%).
D’une manière générale, près des deux-tiers des établissements
déclarent avoir installé deux dispositifs ou plus. Parmi ceux-ci,
certains comme l’aménagement des postes de travail, la prévention en
général, les formalisations et les interdits-sanctions, sont plutôt le
fait des entreprises les plus soucieuses de leur politique de
prévention. Les autres centrent leurs efforts sur la sécuri sation des
machines, des espaces de travail, l’organisation des premiers secours et
la mise en conformité des installations. Les auteurs de l’étude notent,
au passage, l’hétérogénéité des moyens mis en oeuvre et la faible
normalisation du champ de la prévention : un même dispositif
apparaissant, par exemple, sous divers intitulés.
Pas de levier d'incitation univoque
Tout l’intérêt de cette étude est d’avoir croisé ces pratiques avec
d’autres dimensions de la vie de l’entreprise : sa configuration
productive, sa situation financière, la dangerosité de son activi - té,
ses modes de gestion des ressources humaines et ses relations sociales.
Le résultat de cette analyse statistique? Les auteurs n’ont trouvé
aucune causa lité simple et univoque qui constituerait le levier
d’incitation pertinent pour toutes les situations. Leurs observations
vont même parfois à l’encontre de certaines idées reçues. Globalement,
ce n’est pas la bonne santé de l’entreprise qui favorise les pratiques
intenses de prévention. À l’inverse, ces dernières ne sont pas
véritablement empêchées par les difficultés financières. « Il n’y a
quasiment pas de rapport entre situation économique et engagement dans
la prévention », précisent les auteurs. Autre information surprenante,
la dangerosité de l’activité professionnelle ne conduit pas forcément à
l’adoption de dispositifs préventifs. En aucun cas les caractéristiques
propres du travail ne semblent suffire pour expliquer les comportements
des entreprises (voir encadré).
La présence d'un CHSCT dynamise la prévention
S’il n’existe pas un facteur déterminant, en revanche, plusieurs
critères jouent dans un sens comme dans l’autre. L’intensité du travail
et, dans une moindre mesure, l’instabilité de la main-d’oeuvre, la
position de sous-traitant et une stratégie économique défensive, vont
venir contrarier le développement de la prévention. À l’inverse, une
participation importante du public au capital de l’entreprise, la
présence d’un plan de formation, le souci d’un bon climat social, sont
autant d’éléments qui vont peser favorablement.
Dans le même ordre d’idées, la présence d’un CHSCT a une forte
incidence sur le comportement de l’entreprise, bien plus que l’existence
d’un document d’évaluation. Dans les sociétés les moins dynamiques en
matière prévention, l’analyse révèle, en effet, une absence ou une bien
moindre présence des CHSCT, et vice versa. « Certes, ici, sans doute
plus encore qu’ailleurs, expliquent les sociologues, il faut prendre
garde à ne pas raisonner en termes de causalité. Mais cela n’enlève rien
à l’intérêt des résultats : la présence d’un CHSCT participe du
dialogue, de la co-construction des risques professionnels et de leur
prise en charge par les dirigeants et les salariés ». Ce lien entre la
pratique de prévention et les relations sociales est aussi perceptible
du côté des employeurs. En effet, la participation régulière de la
direction à des associations locales ou régionales (comme un MÉDEF
territorial, une chambre de commerce et d’industrie, etc.) est
significativement associée à la mise en oeuvre de systèmes préventifs.
L'effet des incitations financières n'est pas probant
Autre enseignement à retenir, les enjeux des coûts de la prévention
ne sont pas aussi centraux que l’on pourrait l’imaginer, ce qui amène
les auteurs à s’interroger sur l’efficacité des incitations financières
du système de tarification des risques professionnels qui composent
l’essentiel des outils de l’action publique. « À taille égale, on
n’observe aucune différence d’intensité de prévention entre les
entreprises soumises au taux dit réel et les autres. » Les liens entre
les taux de risques affectés et le nombre de dispositifs de prévention
installés sont distendus. L’effet inci tatif qu’espérait le législateur
n’est pas probant. « Les taux de risque sont peu suivis dans les
entreprises qui n’en comprennent ni la construction ni la valeur. Peu
connaissent leur taux, et quand elles le connaissent, aucune ne sait le
situer par rapport à la moyenne du secteur et des autres secteurs. Les
coûts font partie des charges patronales dont les entreprises
s’acquittent sans toujours savoir qu’elles pourraient en réduire le
montant. » Autrement dit, le système de tarification des accidents du
travail et des maladies professionnelles, censé inci ter les entreprises
à se préoccuper de l’impact économique interne de la sécurité au
travail, ne joue par ce rôle. Pour les auteurs de cette étude, il
n’existe d’ailleurs pas une solution unique qui déterminera l’adoption
de politiques actives de prévention. Ils préfèrent parler de multiples
voies vers la prévention qui reposent sur différents leviers d’action :
par exemple, soutenir des acteurs de prévention dans leurs négociations
avec les opérationnels, ailleurs, formaliser davantage des procédés de
prévention ou encore faire entendre plus clairement une voix d’autorité
et de sanction.
«
Pratiques de prévention des risques professionnels »,
-Thomas Amossé,
-Sylvie Célérier,
-Anne Fretel,
rapport de recherche n° 61, Centre d’études de l’emploi.