Saturday, March 24, 2012

Santé et sécurité au travail

Prévention des risques : une pluralité de pratiques et de motivations

Prévention des risques : une pluralité de pratiques et de motivations
Une étude du Centre d’études de l’emploi éclaire les comportements des entreprises en matière de prévention des risques professionnels. Leurs pratiques ont été croisées avec différents facteurs socio-économiques afin d’identifier des leviers possibles de l’action publique.
Quels sont les déterminants qui poussent les entreprises à s’engager ou non dans une politique active de prévention des risques professionnels ? Les auteurs d’une étude du Centre d’études de l’emploi (CEE) publiée au mois de janvier, ont traité cette problématique en s’appuyant, notamment, sur les résultats de l’enquête « Reponse » (Relations professionnelles et négociations d’entreprise) de 2004- 2005. Cette vaste enquête nationale de la DARES a été réalisée auprès des repré - sentants de la direction, des représentants du personnel et des salariés issus de 3000 établissements de vingt salariés ou plus dans le secteur marchand non agricole. Elle comportait des questions relevant spécifiquement de la prévention des risques professionnels : dispositifs mis en place, objectifs suivis et négociations tenues en matière de prévention, sécurité et conditions de travail.

Cinq types de comportements identifiés

Premier constat global de l’étude du CEE : plus de 80% des entreprises de vingt salariés et plus agissent pour améliorer la sécurité au travail même si le respect de la législation est pour certaines aléatoire. « Les mauvais résultats des risques professionnels français ne peuvent plus être compris comme l’effet d’une carence absolue de la part des entreprises », expliquent ainsi les auteurs qui distinguent cinq types de comportements. Un groupe intermédiaire d’entreprises (45,1% des 3000 entreprises) correspond à la norme avec la présence de dispositifs de prévention (aménagement des postes de travail, équipements de protection individuelle, prévention du risque routier, etc.), une évaluation diffusée aux salariés ou à leurs représentants, des négociations sur les conditions de travail.
Par rapport à cette norme, l’étude pointe un groupe de mauvais élèves. Pour 16,7% des entreprises, la question de la prévention ne se pose pas ou, du moins, n’est pratiquement pas posée. Dans 12,6 % des cas, elle est posée de façon unilatérale : ces entreprises ont généralement rédigé un document d’évaluation des risques surtout par souci de remplir une obligation légale, mais elles ne l’ont pas diffusé auprès du personnel et la discussion collective est absente. À l’opposé, les entreprises les plus actives sont celles pour qui la prévention est un impératif partagé à la fois par les dirigeants et les salariés (12,7 %). Les sala riés sont non seulement informés, mais les conditions de travail font l’objet de négociations débouchant souvent sur un accord. Le dernier groupe rassemble les entreprises pour qui l’objectif sécurité n’est pas prioritaire mais qui ont des pratiques de prévention très formalisées (12,8%).
D’une manière générale, près des deux-tiers des établissements déclarent avoir installé deux dispositifs ou plus. Parmi ceux-ci, certains comme l’aménagement des postes de travail, la prévention en général, les formalisations et les interdits-sanctions, sont plutôt le fait des entreprises les plus soucieuses de leur politique de prévention. Les autres centrent leurs efforts sur la sécuri sation des machines, des espaces de travail, l’organisation des premiers secours et la mise en conformité des installations. Les auteurs de l’étude notent, au passage, l’hétérogénéité des moyens mis en oeuvre et la faible normalisation du champ de la prévention : un même dispositif apparaissant, par exemple, sous divers intitulés.

Pas de levier d'incitation univoque

Tout l’intérêt de cette étude est d’avoir croisé ces pratiques avec d’autres dimensions de la vie de l’entreprise : sa configuration productive, sa situation financière, la dangerosité de son activi - té, ses modes de gestion des ressources humaines et ses relations sociales. Le résultat de cette analyse statistique? Les auteurs n’ont trouvé aucune causa lité simple et univoque qui constituerait le levier d’incitation pertinent pour toutes les situations. Leurs observations vont même parfois à l’encontre de certaines idées reçues. Globalement, ce n’est pas la bonne santé de l’entreprise qui favorise les pratiques intenses de prévention. À l’inverse, ces dernières ne sont pas véritablement empêchées par les difficultés financières. « Il n’y a quasiment pas de rapport entre situation économique et engagement dans la prévention », précisent les auteurs. Autre information surprenante, la dangerosité de l’activité professionnelle ne conduit pas forcément à l’adoption de dispositifs préventifs. En aucun cas les caractéristiques propres du travail ne semblent suffire pour expliquer les comportements des entreprises (voir encadré).

La présence d'un CHSCT dynamise la prévention

S’il n’existe pas un facteur déterminant, en revanche, plusieurs critères jouent dans un sens comme dans l’autre. L’intensité du travail et, dans une moindre mesure, l’instabilité de la main-d’oeuvre, la position de sous-traitant et une stratégie économique défensive, vont venir contrarier le développement de la prévention. À l’inverse, une participation importante du public au capital de l’entreprise, la présence d’un plan de formation, le souci d’un bon climat social, sont autant d’éléments qui vont peser favorablement.
Dans le même ordre d’idées, la présence d’un CHSCT a une forte incidence sur le comportement de l’entreprise, bien plus que l’existence d’un document d’évaluation. Dans les sociétés les moins dynamiques en matière prévention, l’analyse révèle, en effet, une absence ou une bien moindre présence des CHSCT, et vice versa. « Certes, ici, sans doute plus encore qu’ailleurs, expliquent les sociologues, il faut prendre garde à ne pas raisonner en termes de causalité. Mais cela n’enlève rien à l’intérêt des résultats : la présence d’un CHSCT participe du dialogue, de la co-construction des risques professionnels et de leur prise en charge par les dirigeants et les salariés ». Ce lien entre la pratique de prévention et les relations sociales est aussi perceptible du côté des employeurs. En effet, la participation régulière de la direction à des associations locales ou régionales (comme un MÉDEF territorial, une chambre de commerce et d’industrie, etc.) est significativement associée à la mise en oeuvre de systèmes préventifs.

L'effet des incitations financières n'est pas probant

Autre enseignement à retenir, les enjeux des coûts de la prévention ne sont pas aussi centraux que l’on pourrait l’imaginer, ce qui amène les auteurs à s’interroger sur l’efficacité des incitations financières du système de tarification des risques professionnels qui composent l’essentiel des outils de l’action publique. « À taille égale, on n’observe aucune différence d’intensité de prévention entre les entreprises soumises au taux dit réel et les autres. » Les liens entre les taux de risques affectés et le nombre de dispositifs de prévention installés sont distendus. L’effet inci tatif qu’espérait le législateur n’est pas probant. « Les taux de risque sont peu suivis dans les entreprises qui n’en comprennent ni la construction ni la valeur. Peu connaissent leur taux, et quand elles le connaissent, aucune ne sait le situer par rapport à la moyenne du secteur et des autres secteurs. Les coûts font partie des charges patronales dont les entreprises s’acquittent sans toujours savoir qu’elles pourraient en réduire le montant. » Autrement dit, le système de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles, censé inci ter les entreprises à se préoccuper de l’impact économique interne de la sécurité au travail, ne joue par ce rôle. Pour les auteurs de cette étude, il n’existe d’ailleurs pas une solution unique qui déterminera l’adoption de politiques actives de prévention. Ils préfèrent parler de multiples voies vers la prévention qui reposent sur différents leviers d’action : par exemple, soutenir des acteurs de prévention dans leurs négociations avec les opérationnels, ailleurs, formaliser davantage des procédés de prévention ou encore faire entendre plus clairement une voix d’autorité et de sanction.

« Pratiques de prévention des risques professionnels »,
-Thomas Amossé,
-Sylvie Célérier,
-Anne Fretel,

rapport de recherche n° 61, Centre d’études de l’emploi.

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